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La piqûre

Child wood

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: Forêt de souvenirs :

Toute petite, je me suis fait opérer des oreilles. Je ne me souviens de presque rien, mises à part la douche à la Bétadine avant l’opération et la tunique qu’on vous enfile, vous savez, cette tunique d’hôpital de la même couleur que les murs – ni blancs, ni bleus, ni gris – qui ferme à peine à l’arrière et qui vous promet un beau rhume des fesses.

Ce matin-là, quelque part en 1996 ou en 1997, une fois traversés les couloirs de l’hôpital allongée sur mon lit pour m’emmener à la salle d’opération, cette question de l’anesthésiste m’a laissée perplexe : « Tu veux la piqûre ou le ballon ? »

Faute de savoir ce qu’était le ballon, j’ai répondu « la piqûre ». Le temps d’essayer de compter jusqu’à dix et je m’endormais.

Au réveil, j’avais un gros bandage sur l’oreille et les néons dans les yeux. A mes côtés, mon doudou, Lapinette, avait quant à elle une charlotte sur la tête et une petite seringue dans le bras –  juste comme moi !

Dans ma chambre d’hôpital, ma grand-mère et ma tante m’attendaient avec une grosse part de tarte aux prunes et un nounours, tout rond, avec une bonne bouille et de grandes oreilles toutes pelucheuses : un koala. Dans les heures qui ont suivis, les bien nommés Kola et Lapinette ont eu le coup de foudre, se sont mariés, puis ont fait des enfants de toutes formes, de toutes tailles et de toutes couleurs – les mystères de la génétique, que voulez-vous. Et puis, au fil des années, mon koala s’est usé : je l’ai trainé partout et il a participé à bon nombre d’histoires toutes plus abracadabrantes les unes que les autres, mais dans la pratique, il a surtout pris des coups, de la confiture ou de la soupe sur la tronche, de la morve et du vomi sans doute aussi même s’il a eu la gentillesse de me le pardonner. Pendant des années, je me suis endormie en lui caressant les poils de l’oreille droite – le seul endroit resté doux aujourd’hui.

Dehors, le froid, la grêle, la nuit, la peur de grandir et à l’intérieur de ma chambre, au plus profond de mon lit de petite fille, ce gros pantouflard de Kola, qui me sourit.

En terme d’audition, je n’ai rien gagné avec cette opération, ni avec la suivante. Ce n’est pas la peine de me susurrer des mots doux à l’oreille, je déteste les gens qui ont de petites voix au téléphone et je continue à râler après ceux qui me font remarquer que je n’entends rien à la musique.

Mais j’ai gagné un bon souvenir et un copain d’enfance, et ça vaut toutes les paires d’oreilles.

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